Au Royaume-Uni, la crise du prix de la vie est de retour, car l’inflation, qui a atteint 2,9 % jusqu’au mois d’août, a encore dépassé la croissance des salaires. D’après la banque d’Angleterre, la chute de la valeur de la livre sterling
depuis le référendum sur le Brexit, explique ce phénomène. Cette dernière entraîne une augmentation du coût
des importations, surtout de l’énergie. La croissance des salaires, jusqu’à 2,1 % cette année, n’a pas suivi.
En effet, les salaires réels tiennent compte de l’inflation et ont chuté de 0,4 % durant les trois mois précédant juillet 2017.
En paralèlle, le chômage de 4,3 % est actuellement à son niveau le plus bas depuis 42 ans. Une désillusion
pour les observateurs de la solidité de la reprise britannique, car la croissance des salaires reste faible.
Vous ne vous en êtes peut-être pas rendu compte, mais cela fait maintenant plus de dix ans que la crise financière
a débuté ; et depuis neuf ans, nous subissons une hausse des marchés boursiers dans la plupart des principaux secteurs. Officiellement, l’économie est censée avoir repris. Le taux de chômage est en deçà de son niveau tendanciel à long terme, à environ 5 %. La croissance est positive depuis plusieurs années, malgré d’importants obstacles
à surmonter, imposés par l’assainissement budgétaire. L’inflation augmente.
Toutefois, il reste un point noir au tableau qui pourrait expliquer la faiblesse de la croissance des salaires réels. Pendant presque toute la décennie, les gains de productivité, qui ont entraîné la hausse du coût de la vie au Royaume-Uni depuis le début de la révolution industrielle, sont restés au point mort, du moins d’après les données officielles.
La majorité de cette augmentation du PIB depuis la crise, vient du « facteur travail ». En effet, les gens travaillent
plus (souvent grâce à un solde migratoire net élevé), plus longtemps, et beaucoup de personnes sont de retour
sur le marché du travail.
Une faible croissance dans la productivité des travailleurs signifie que les Britanniques ordinaires ne ressentent
pas vraiment d’avantages à la reprise économique, surtout en matière d’augmentation des salaires.
Les travailleurs craignent que le retour d’une forte inflation impacte négativement leurs revenus.
Mais avons-nous bien là toutes les explications ? Nos recherches nous ont montré que le ralentissement
de la productivité au Royaume-Uni est considéré différemment dans tous les pays du G7. Pourtant, ce sont bien
les performances du pays qui devraient s’ajouter à la liste des inquiétudes à avoir. En effet, le Royaume-Uni s’en sort mal à cause des conflits uniques au sein de son économie qui sont survenus après la crise.
Le graphique de l’image 1 montre la façon dont la productivité du travail a évolué. Elle a été calculée en fonction
du rendement par tête, et nous pouvons constater qu’elle était plus rapide au Royaume-Uni entre 1970 et 2008
par rapport aux autres pays appartenant au G7. La courbe démarre faiblement en 1970. Puis, la productivité britannique a alors progressé de 2,3 % par an en moyenne et de 2 % dans les autres pays, leaders technologiques, comme les États-Unis et l’Allemagne (calcul pondéré par parts du PIB total).
Néanmoins, en 2008, la productivité s’est dissociée de la courbe de tendance dans toutes les économies avancées,
et la déviation la plus forte concerne le Royaume-Uni. Nous pourrions nous attendre à un tel résultat au début
de chaque récession, car une demande faible entraîne une « capacité de réserve » du travail et du capital.
Mais ce phénomène ne devrait pas durer puisqu’à chaque récession depuis 1970, la productivité est rapidement repartie à la hausse.
Nous pouvons observer cet impact sur les images 2 et 3, où le rendement par heure dévie de la courbe de tendance
du Royaume-Uni contrairement à celle du leader technologique mondial, les États-Unis, puis comparé aux autres pays du G7.
Image 2 : la croissance de la productivité britannique se dissocie de la courbe tendancielle
La courbe du Royaume-Uni et des pays du G7 continue à s’écarter de ses taux tendanciels, mais à différents degrés. Ces 5 dernières années, la productivité des États-Unis a également ralenti pour simplement aujourd’hui revenir à son niveau tendanciel à long terme après une décennie de croissance rapide.
Cependant, si le pays continue à générer un rendement inférieur aux chiffres officiels, comme il semble le faire, il glissera lui aussi sous la courbe de tendance d’avant 2008, dans les années à venir. Le Royaume-Uni, lui, semble faire partie des moins bons élèves. Sa productivité (et par conséquent les salaires réels) est 20 % en deçà des tendances récentes alors que les autres pays sont à seulement 10 %. Nous parlerons des problèmes rencontrés par le Royaume-Uni plus loin dans cet article.
Image 3 : la mauvaise performance de la productivité britannique est exceptionnelle d’après les standards du G7
Au sein des pays du G7, le ralentissement de productivité peut s’expliquer par plusieurs facteurs : la demande reste trop faible dans tous les secteurs industriels ; le taux tendanciel antérieur à la crise a chuté au sein de ces 7 pays en raison de modifications structurelles de l’économie ; la pression pour réduire leur endettement au moment de la crise a découragé les entreprises à investir dans des produits et processus qui améliorent la productivité ; ou, les gains de productivité n’ont pas été notés par les statisticiens.
Sans prendre en compte la politique basée sur la peur qui a été menée dans la zone euro en 2015/2016, la déflation n’est pas un problème majeur dans la plupart de ces 7 pays et elle ne peut s’expliquer par une tendance qui s’étend sur une décennie. Il aurait néanmoins peut-être fallu une action fiscale solide et bien pensée pour pouvoir accélérer la reprise et améliorer les problèmes de productivité que nous rencontrons actuellement.
La courbe de tendance à long terme a permis de stimuler la croissance américaine et ses partenaires commerciaux pendant plus de 150 ans. Même si nous ne sommes pas convaincus par l’idée qu’elle devrait être complètement revue à la baisse pour répondre aux tendances actuelles, nous pensons qu’une détérioration modérée de cette tendance de la croissance est une option envisageable.
En effet, nous faisons face à une réduction des rendements des produits technologiques grand public, comme l’énergie électrique et la production de masse, ainsi qu’à une croissance de la part de la productivité faible du secteur des services dans toutes les économies du G7. La crise financière a peut-être simplement révélé au grand jour ces changements fondamentaux.
La crise financière et la réduction de l’endettement ont probablement accentué l’aversion au risque des entreprises et les ont découragés à investir dans les nouvelles technologies (notamment les nanotechnologies et biotechnologies), qui promettent un changement radical dans l’activité industrielle.
Il en découle également une réduction du taux tendanciel de la croissance, du moins à court terme, au sein des pays du G7. Cela signifie qu’une croissance plus faible peut être compatible avec le plein emploi.
La 4e raison (les gains de productivité cachés) peut expliquer une proportion importante du déficit dans les 7 pays et le Royaume-Uni. L’apparition et la croissance du secteur des technologies de l’information ont dissimulé les gains de productivité réels réalisés depuis 2008.
Par exemple, aujourd’hui, un smartphone remplace de nombreux appareils comme les appareils photo, les GPS, les lecteurs mp3 et autres consoles de jeux, et dans une certaine mesure ils ont aussi entièrement pris la place des ordinateurs portables.
Pourtant, leur prix a chuté. La consolidation des produits dans les secteurs de l’électronique consommable et des nouvelles technologies implique que lorsque nous mesurons formellement le PIB, nous sous-estimons le véritable niveau de rendement, ajusté pour tenir compte de la qualité. Et par certains aspects, cela explique pourquoi la productivité est faible comparativement au niveau de l’emploi.
En outre, les chiffres du PIB ne prennent pas en compte les opérations non monétaires, comme le contenu généré sur les réseaux sociaux ou les services fournis par des applications gratuites qui renforcent « l’économie collaborative ».
Pour revenir au problème de l’économie britannique, d’autres éléments entrent en ligne de mire, comme l’a fait remarquer le Monetary Analysis Directorate de la Banque d’Angleterre dans un article publié en 2014. Il y est mentionné que les faibles taux d’intérêt ont incité les banques à se montrer plus tolérantes concernant les dettes des entreprises qui en temps normal, auraient pu faire faillite.
Par ailleurs, les tensions sur le marché du crédit ont empêché les ressources de correspondre avec de nouvelles opportunités rentables, et une baisse durable des salaires réels en fonction du prix des capitaux a encouragé les entreprises à retarder leurs investissements en créant des emplois.
Alors que la croissance de la productivité mondiale est mauvaise, cette difficulté semble particulièrement criante au Royaume-Uni. Nos recherches ont démontré que le pays souffre d’une décennie de perte de productivité, mais tourne presque à plein régime, contrairement à ce que suggère la courbe de tendance avant la crise. Le pays fait donc face à une période de stagflation, une croissance faible et une inflation haute, qui à terme posera un problème à la Banque d’Angleterre, dont l’objectif est de garder l’inflation à 2 %.
Comme l’inflation augmente, les taux d’intérêt réels chutent, la livre sterling s’affaiblit et l’économie britannique pourrait commencer à s’embraser. La banque sera alors dans l’obligation d’élever les taux de base. Cependant les efforts pour améliorer la productivité pourraient avoir des effets inverses que ceux escomptés et si les marchés se montrent peu tolérants quant aux taux d’intérêt plus élevés, des effets macro-économiques néfastes pourraient apparaitre.
Tout ceci n’est qu’une vision à court terme. Néanmoins, si, comme les technologistes l’affirment, nous sommes réellement sur le point d’entrer dans une nouvelle révolution industrielle, promettant d’offrir une avancée décisive pour la productivité et les conditions de vie, les perspectives à long terme pour les Britanniques et les pays du G7, évidemment, ne sont peut-être pas aussi sombres qu’il y paraît.